Afchary-Kord Faezeh |
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Tout au long de son récit personnel, elle modèle la matière noble et précieuse qu'est la porcelaine pour construire une oeuvre fragile, jaillie de l'ombre, suspendue entre ciel et terre, comme menacée de s'effondrer mais assurée de s'élever. Au fil du travail, elle tisse autour de nous un petit tour du monde. En 2000, lors d'une exposition à Londres, à la galerie Oxe Tower, Fazy a présenté une vingtaine de sculptures en terre cuite. Ces objets associent des fragments ornés de motifs organiques et géométriques qui rappellent à la fois sa formation d'architecte et son pays d'origine, l'Iran. Quelques poèmes d'Hessam Haéri, transférés sur le support en céramique complètent le désir de Fazy de se restituer, de se construire en pensée avec son mari aujourd'hui décédé. Tant par les jeux d'assemblage que par les motifs et les textes, ces sculptures préfigurent les recherches actuelles de Fazy. De 2003 à 2006, depuis son inscription à l'Académie des Beaux-Arts de Tournai, où elle bénéficie des précieux conseils d'Emile Desmedt, Fazy s'est orientée vers la création d'objets plus épurés. Elle écarte la couleur, valorise l'écriture, construit à partir de son expérience et de sa culture des figures métaphoriques universelles, plus proches de la poésie que de l'énoncé pittoresque.
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En 2003 et 2004, Fazy propose des sculptures en deux dimensions, des aplats en porcelaine blanche, construisant des séries de trois éléments dialoguant entre eux pour représenter une idée, une préoccupation ou un questionnement personnels. Elle
présente d'abord trois carrés de 50 sur 50 cm, assemblés de morceaux ou
de lanières de porcelaine tissés entre elles pour former des pleins et
des vides pareils à ceux des lettres. La composition d'ensemble
présente une sorte d'écriture illisible, la terre captant le verbe pour
le Pierre Dailly
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L'année suivante, elle compose un triptyque inspiré d'un texte de Hessam Haeri évoquant les lignes de la main. Trois panneaux oblongs, en porcelaine, métal et verre, expriment la vie et la mort à la manière des monitorings médicaux. Est entrelacé dans ces lignes le premier mot du poème : « toi », écrit en persan. En 2005, Fazy propose une première installation qui, en quelque sorte, met en volume ce qui avait été proposé jusque là en deux dimensions. La première installation est à sa manière un poème suspendu, où chaque feuille, effrangée comme les anciens papiers dits « à la cuve », propose au regard des fragments de textes. Ces poèmes entrevus, partiellement masqués par les feuilles distantes de quelques centimètres, sont portés par ailleurs (sous forme d'enregistrement) par une voix venue du sol.
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En 2006, Fazy présente une seconde installation mettant en oeuvre - en oeuvre d'artiste - un cyprès, symbolisant dans la tradition le cycle de la vie, figure de proue qui traverse le temps. Cette installation rassemble des feuilles nervurées de formats différents, de 10 à 60 cm, de long, présentées verticalement ou obliquement. Composant une structure, balayée par des ombres et des lumières en mouvement combinées à des phrases murmurées, à caractère répétitif (projection vidéo). Cette installation inspirée du cyprès préfigure la charpente de nos rêves qui refusent de céder à /a barbarie du temps**. **Hafez
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D'année en année, de réalisation en réalisation, les recherches artistiques de Fazy mettent en miroir la sculpture et la poésie. Ce va-et-vient répété, incessant confère à son travail de céramiste une dimension d'écriture. L'écriture est la figure centrale de son travail qui se poursuit d'année en année, d'extrait en extrait, à la fois comme propos indépendants et renvois à l'ensemble, à la fois comme oeuvre et mise en oeuvre dans des lieux spécifiques. Parce que la poésie est coutumière dans son pays d'origine ; parce que la poésie est aussi l'expression d'un monde intérieur qui s'est construit au gré des contrastes, des oppositions et des sentiments nés de l'exil ; parce que la poésie est aussi un instrument forgé par le destin, les espoirs et les blessures de la vie ; parce que la poésie fait vivre ; parce que c'est une manière de retrouver sa langue maternelle ; Fazy fait des livres qui ne ressemblent pas à des livres. En 2007, Fazy présente à Cambrai et à Mons-en-Bareul une installation qui réunit projets artistique, artisanal et littéraire. En collaboration avec Nicole Chacun, elle réalise un socle représentant la mer. Ce socle en terre cuite d'un mètre sur deux s'échoue sur une nappe de sable. Il forme un plateau composé de onze bols en porcelaine, difformes, grands comme le creux d'une petite main. Sa renouvellent sur les objets comme sur les vagues quelques phrases vulnérables, extraites des poèmes d'Omar Khayâm. l'écriture ne noircit pas. Elle est presque transparente comme s'il n'y avait à déchiffrer que la trajectoire de la main qui transcrit. Que la mer soit de la terre pétrie ou que les objets soient des livres, l'une et les autres semblent indiquer que le quotidien est en même temps la vie et la métaphore de la vie à poursuivre. Pierre Dailly
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Porté par son récit personnel, au-delà de l'actualité de l'Iran diabolisé par les médias, le lecteur de ces œuvres de terre est ravi d'appréhender les valeurs les plus élémentaires de la civilisation des hommes. Loin de tout exotisme, le travail de Fazy qui assemble, rassemble, disperse les feuillets de sa mémoire, met en évidence l'esprit qui anime et fonde la dignité humaine un peu partout sur cette planète, enjeu d'ici et d'ailleurs. Pierre Dailly 07/2006
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Et toi Tu as amené
les nuages Et un arbre
pousse Hessam Haeri Ecrire et Façonner Le support de l'oeuvre du poète est la feuille blanche. Son outil peut être la plume, voire dans certaines civilisations le pinceau. Le matériau de la plasticienne est la porcelaine. Son outil est d'abord sa main et ensuite le four pour la cuisson. Que se passe-t-il lorsque la porcelaine prend des allures de feuilles vierges ? La plasticienne se voit tentée de devenir écrivaine. La voila entrain d'affiner sa pâte. En train de chercher de quelle manière intégrer les mots au coeur de la terre étirée. Son écriture est un mouvement, une danse qui s'inscrit à même la matière. La porcelaine devient livre ouvert, livre déchiré laissant apparaître ce que les mots cachent, livre parcouru de frissons provoqués par les doigts, livre cherchant à imprégner éternellement une blancheur fragile qui révèle. Michel VOITURIER |
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Marches de Soie (à Bam, en Iran) Regardez et passez doucement car sous chaque Parcelle de ruines gît peut-être un roi, un guerrier, un vieux sage, un amoureux, ou une mère … Abdolreza salar-Behzadi Bien sûr que ces marches évoquent la ville de Bam. Bien sûr que leurs formes Construites et détruites, à l’épreuve du sol retourné, écaillé, fissuré, sont les marques les plus perceptibles de cette ville aujourd’hui effondrée. Bien sûr que ces objets architecturaux qui servaient à monter et descendre, aujourd’hui telles des formes rendues inutiles, enfouis, leurs cicatrices stigmatisent la vie. Néanmoins, j’ai choisi d’aller au-delà de la métaphore des ruines, au-delà du thème romantique, sentimental et oppressant que ces gravats représentent. Il y a quelque chose en plus, ici, que la désolation. Il y a quelque chose qui évoque ici une sorte d’au-delà. Au-delà du temps, au-delà intérieur ? Cette impression rejoint celle que me procurent la vue et le toucher de la porcelaine. La porcelaine renforce la vulnérabilité qui se dégage des ruines. Toutefois, sa préciosité, son éclat, sa blancheur invitent à dépasser l’aspect émotionnel ou accablant des lieux. La matière de la porcelaine est ici une métaphore exprimant une double réalité : celle des marches en terre et en boue séchée et aussi la réalité que ces escaliers représentent aujourd’hui à mes yeux, là où ils me conduisent vraiment. Même si l’histoire de ces murs, aujourd’hui anéantis, m’est familière, même si je parle la même langue réelle et urgente que ces jardins remplis de briquaillons et de torchis, les escaliers que voici invitent à enjamber le désastre. Ils magnifient deux mille cinq cents ans de vie qui avait survécu jusqu’ici à la barbarie de la nature. Ces quelques marches sont une indication, un souffle, une voile déchirée sur la route de la soie entre l’Orient et l’Occident. Tout sauf l’oubli. Ces escaliers de porcelaine, c’est aussi un espace de bienvenue. Faezeh Afchary-Kord |
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Je
ne suis pas seul avec toi Ahmad Shämlou |
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Le clair rayon
de la lune Omar Khayyâm |
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Entrer dans
cette forêt murmurante, grâce au silence et
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La forêt de cyprès "La
nature est un temple où de vivants piliers charles Baudelaire, Les fleurs du mal
Faezeh Afchary-Kord signe en persan sa volonté de suivre une parole de poète, par le corps et par la terre, transmuant la nostalagie en acte contemporain, incisif. Marie-Clotilde Roose |
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Boire frais et vivre à l'aise Omar Khayyâm (1048-1131)
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Extrait de "Et je ne trouverai pas"
Hessam Haeri
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Le fil du souffle La douce exaltation de Ney
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Mélodie nostalgique Exposition :
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Boire frais et vivre à l'aise
sans soucis, telle est ma loi Ni dévotion ni blasphème, liberté, telle est ma foi Quel présent veux-tu de moi pour gage ? ai-je demandé A la vie mon épousée Mon seul gage, c'est ta joie ? |
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Persnne ne pense au fleur
Forough Farokhzad |
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Le doux souffle dela brise répandra son musc encore, Le vieux monde, de nouveau, retrouvera sa jeunesse |
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« Mélodie nostalgique » Traduit du persan par Faezeh Afchary-Kord et Marianne Kirsch Mélodie nostalgique, 2014, porcelaine modelée, 260 x 120 cm. Photos et détail : Pierre Graveline « Mélodie nostalgique » détail |
Grace à tes yeux sans espoir mille moineaux ont commencé un chant innocent dont chaque mot était un message Ce n'est pas un aigle C'est un corbeau qui chante L’histoire de l’abondance qui a quitté les champs Et le jardin rempli de corbeaux et mes yeux fatigués fixent les branches Et je chante cette mélodie nostalgique pour tes yeux les paires fidèles des miens La fenêtre est ouverte et cette branche nue sur un arbre haut et vert est un fœtus rebutant Et cette chambre qui est le dortoir des jeunes filles de cette ville Et les draps qui sentent le vieux sang et la mémoire de ces vieux alphabets habituels Tout reflète un burlesque obsolète et immobile Quelle journée déserte ! On dirait la souffrance de mille solitudes Et le spectre mon compagnon de voyage est toujours endormi Et sur mon cœur un soleil concentré Une nuit est passée comme une lassitude d'opium Et l'amertume de l’alcool me gargarise encore Pour l’état de conscience le temps ne passe pas Et j'ai l’adoration du soleil dans mon cœur Et tes yeux mes soleils sont dans le chagrin Et tes yeux mes soleils sont dans la terre Viens et peigne mes cheveux Viens et apprends à nouveau mes mains que je puisse sculpter cette splendeur ruinée. |
Prix du jury 2014 Céramique 14 Paris http://www.ceramique14.com/ |
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ATELIER
AUTOUR DU FEU
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